La Horde du Contrevent : ce parcours initiatique qui change une personne.


Quand on demande aux gens quels sont leurs livres préférés, tout ceux qui ont lu La Horde du Contrevent vous le citerons irrémédiablement, ne serait-ce que pour évoquer le travail de titan réalisé par l’auteur.
L’action prend place sur une bande de terre large de cinq milles kilomètres, incessamment balayée par les vents et entourés de deux pôles de glace infranchissables. Un groupe de marcheurs, la Horde, formé dès l’enfance, a pour mission d’atteindre l’Extrême-Amont pour découvrir l’origine du vent. La 34ème horde, celle qui a a réputation d’être la meilleure, celle qui, après des siècles d’expéditions infructueuses, porte l’espoir de la réussite. Ils sont vingt-trois, hommes et femmes ayant chacun leur rôle et leurs talents, soudés par la quête et l’amitié, et seuls au monde et face au vent, qu’ils doivent sans cesse « contrer ». Le lyonnais Alain Damasio a mis trois ans pleins à écrire son ouvrage, avec encore d’autres années en amont pour créer un monde et des personnages cohérents.
Bon là c’était les faits, sans dévoiler quoique ce soit du contenu. À présent, il va me falloir être prudent, tant ce livre arbore un caractère mystique pour des milliers de lecteurs en France. Et ce, pour plusieurs raisons.

 

Dis moi comment tu contres, je te dirais qui tu es

Dans la forme, Damasio a réalisé un tour de force plutôt balaise : les chapitres sont divisés à travers les hordiers, représentés par un sigle pour savoir qui parle, qui ont chacun leur style d’expression propre. Il a donc fallut que l’auteur attribut un caractère construit et cohérent a chacun d’entre eux, sans pour autant tomber dans la caricature. Pour se faire, il a rédigé une cinquantaine de pages par personnage, pour détailler leur histoire, leur passé, leur doutes, leurs motivations. Même si le récit se centre vraiment sur cinq ou six d’entre eux, ils sont tous présent dans la narration, et on finit par s’attacher à eux, avec évidemment nos chouchous (Caracole pour les filles, Golgoth pour les garçons, en gros). Ce choix stylistique nous incorpore au plus près de leur quête, qui est tout sauf facile. Pour pouvoir affronter tous les obstacles, les membres de la Horde, dans leur grande majorité, sont arrachés dès l’enfance à leur famille , et entraîner à lutter contre le vent (les fameuses « techniques de contre »), à le comprendre, mais aussi à tel ou tel art nécessaires à la survie du groupe et au succès de la quête (médecine, art du métal, art du combat etc.).
Le vent a un rôle de premier plan dans le récit. Il est l’adversaire continue, l’élément de lutte principal, et prend une place importante dans le mystique du monde et de ceux qui le peuple (origine de la vie pour certains par exemple). Le vent est divisé en neuf formes, dont les trois dernières sont encore inconnues du lecteur et des marcheurs, dont la quête est donc de découvrir la neuvième, qui réside au bout du monde, et qu’elle est à l’origine de tous les vents. De part la place incontournable du vent, les sociétés se sont donc construit autour de lui : les chars à voile sont fréquents, tous comme les éoliennes par exemple. Le vent peut même prendre des formes plus « magiques » à l’instar des « chrones », ces globes magiques qui modifient leur environnement, pour le meilleur ou pour le pire, ou du « vif », cette énergie que nous avons en chacun de nous. On ne vous en dit pas plus. L’auteur a même créé un mode d’écriture servant à retranscrire les formes du vent, à l’aide de signes de ponctuations! Et ça marche!

 

La horde du contrevent : Un livre de tous styles

En parlant de l’auteur, il est clair que sa plume est hors norme. Damasio aime écrire, manier les mots et les différents styles littéraires. Si on ne peut que s’incliner devant cet état de fait, il peut être parfois rebutant. La forme prend le pas sur le fond de temps à autre, si bien que le scénario, des explications qui devraient parfois être nécessaire, sont sacrifiés au profit de grandes envolées lyriques. Pareillement, les personnages s’interrogent sans cesse sur leur quête, son sens, par rapport à eux-mêmes, mais aussi par rapport au monde qui les entoure, où les Hordes deviennent obsolètes face aux avancées technologies. Le livre, les personnages nous (re)font aimer la philosophie, et on se surprend à réfléchir au sens profond de ce qu’on vient de lire pendant de longues minutes. Du vocabulaire inconnu nous est présenté, sans aucune explication de sens, que le lecteur doit deviner, ce qui peut être aussi pénible. Dans la même idée, le monde aurait gagné à être présenté davantage, il y avait de la matière, mais seule notre imagination nous tendra la main ici.
L’auteur est intelligent, et il le sait, ce qui se ressent dans l’écriture. Mais hey, être passionné est une qualité non ? On aime ou on n’aime pas, mais certains d’entre vous trouverons cela indigeste. N’en ayez cure, le jeu en vaut la chandelle : le bout du monde, ça se mérite ! Il n’y a pas que la Horde qui doit souffrir (accrochez vous au moins les cents premières pages, ça vient plus facilement ensuite). Parfois déroutant, souvent poétique, humain et regorgeant de suspens, les dernières années de marche de la Horde ne vous laisseront pas indifférent.
La Horde du Contrevent est sortie en 2004, aux éditions La Volte, et a reçu le Prix de l’Imaginaire en 2006. À l’origine, le roman était même accompagné d’un CD de bande-son originale pour accompagner la lecture. Pour ma part, il est évident que La Horde du Contrevent est un apport majeur à la SF et française, qui compte par ailleurs de bons noms. Si notre coup de cœur reste Gagner la guerre, La Horde du Contrevent le surpasse sur certains points, et est un monument de la littérature contemporaine.

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